Le ciel s'annonce clément. Le va-et-vient myrmécéen entre le parking dédié et la kermesse fromagère de Laruns commence à s'organiser. Au dessus, à l'écart, dans le tranquille petit parking de Louvie-Soubiron, 16 participants se répartissent dans 4 voitures, et en route pour Aas.
Nous dépassons la miellerie jusqu'à un abreuvoir, départ du sentier qui rejoint tranquillement la crête, que les bergers atteignent sans peine en voiture par le flanc nord. Là nous attend un spectaculaire 360° que nos yeux de géologues en herbe sont impatients de décrypter.
Pour faire simple, le Paléozoique chevauche vers le sud le Crétacé ibérique, à moins que ce ne soit plutôt ce dernier qui plonge sous le premier, ce qui revient au même ... ou pas !
Celles et ceux qui ont comme référence et préférence la vallée d'Aspe, qu'ils ou elles estiment moins chaotique, ne manquent pas de multiplier les comparaisons, au grand désespoir de Pierre qui réussit finalement à recentrer l'observation sur le thème du jour : la désagrégation de notre montagne à une échelle de temps inhabituellement courte pour nous autres géologues.
Nous observons les deux torrents qui convergent vers un unique chenal, débouchant sur un cône de déjection situé ... sous Laruns ! De quoi expliquer les déboires ruisselants du village, sans même devoir invoquer un quelconque changement climatique.
À droite, schéma identique mais sans risque notable car sans urbanisation : le cône de déjection est donc bien visible.
Vers le sud une barre de marbre dévonien est grignotée çà et là par quelques carrières. Cette barre est surmontée par un vaste entonnoir qui converge en un chenal situé à gauche du hameau réhabilité de Listo : nous nous extasions devant la sagesse des anciens qui ont su s'installer à l'écart du risque !
Nous gravissons le chemin sous la crête jusqu'à une excavation de prospection minière. Pierre en profite pour nous abreuver de termes énigmatiques et barbares : les jaspes, lydiennes et phtanites sont en réalité des radiolarites, l'apatite constitue des nodules phosphatés, les conodontes sont des mâchoires de vers dont la présence explique, avec entre autres les placodermes, la présence de ces phosphates, l'ampélite et son soufre est un schiste utilisé dans les vignes pour ses vertus protectrices, et pour couronner le tout l'événement de Hangenberg est l'extinction massive marquant la fin du Dévonien. Vivement le livret-guide pour potasser tout ça !
Un peu plus haut, le fameux faciès "griotte" dont Pierre fournit une explication claire à grand renfort de surface de condensation, vers fouisseurs et stromatolithes, justifiant les bulles générées par l'acide sur le calcaire corrodé et les non-bulles sur la silice en relief, miraculeusement produite par l'argile triée par les fouisseurs, le tout aplati par le poids de milliers de mètres de sédiments, avant même toute orogénèse hercynienne : là encore, j'attends avec impatience le livret guide.
Changement de décor : nous sommes au parking de l'hôtel des crêtes, peu avant le col d'Aubisque. Point de vue idéal sur la station de Gourette. Du Dévonien, calcaires et schistes, surmonté par du Crétacé ibérique, un relief glaciaire avec son surcreusement postglaciaire. Mais surtout, nous observons que la montagne bouge : des paquets de schistes dévoniens instables glissent inexorablement vers et dans la station, que les ingénieurs s'ingénient à protéger à grands renforts de sondages piézométriques, relevés géodésiques et plans sur la comète.
Dans la station fantôme, déserte en cette saison, nous observons sur place l'effet délétère de ces mouvements. Crevasses, dérisoires murs de soutènement déjà ployés et chalets à terme condamnés.
Et la journée n'est pas terminée : sur le bord de la route du retour, un panneau posé par l'ONF explique qu'entre août 82 et mars 83 un énorme pan de la montagne en face a gentiment glissé sur le Cély, affluent du Valentin. Le pendage à contre pente des schistes dévoniens n'a rien empêché, mais les signes avant coureurs avaient laissé le temps de déplacer la route de Gourette qui jadis passait sur ce versant, histoire de la mettre à l'abri.
Ce n'est pas un scoop : un jour lointain, les Pyrénées seront devenues une pénéplaine. Mais les épisodes de cette transformation sont bien observables à l'échelle d'une vie humaine. En cette agréable journée d'automne, nous en avons observé deux aspects : avec le ravinement, chaque élément est entraîné par l'eau de ruissellement. Avec les glissements de terrain, c'est à chaque fois un pan de montagne entier qui descend en bloc.
Pour finir, un grand coup de chapeau à Pierre, qui distingue avec une rigueur scientifique exemplaire ce qu'on sait, et à l' aune de quelles sources, de ce qu'on suppose, et de ce qu'on ne sait tout simplement pas. Bravo !
JV